Brexit: Le plan Z

1. Le 23 Juin 2016 marque sans doute une nouvelle date de référence dans l’histoire de l’Europe.

L’effet de sidération a été total des deux côtés de la Manche. Le peuple anglais qui a inventé la démocratie parlementaire et ne maîtrise guère la procédure référendaire* s’est prononcé à une majorité nette après avoir voté massivement, ce qui est rare. Sans doute s’est-il prononcé surtout sur des enjeux intérieurs: la souveraineté nationale, la crise économique et l’immigration, plutôt que sur le thème de l’Europe largement inconnu du peuple.

La Grande-Bretagne est cohérente: après la signature du traité de Rome en 1957, elle  avait créé l’Association européenne de libre-échange et rassemblé autour d’elle quelques pays encore isolés (dont l’Autriche, le Portugal et la Norvège) afin de torpiller le Marché commun; en vain.

Par deux fois dans les années soixante, elle sonne à la porte de la petite Europe qui s’était renforcée au fil des ans, repoussée par le veto du général De Gaulle qui voyait en elle, non sans raison, le cheval de Troie de Etats-Unis.

En 1973, le seul politicien britannique sincèrement europhile – Edward Heath, Premier ministre de 1970 à 1974 – la fit entrer avec l’aval de Georges Pompidou. Mais l’aspiration des gouvernements insulaires à participer à un vaste espace économique libéral – sans contrainte institutionnelle- reprit  vite le dessus.

Ce furent d’abord les coups de boutoirs de la  » Dame de fer » avec: « I want my money back », puis le « No, No, No » adressé en pleine chambre des communes à Jacques Delors, le président de la Commission européenne.

La récente renégociation en février 2016 par le Premier ministre David Cameron en vue d’obtenir des avantages supplémentaires illustre l’arrogance traditionnelle du gouvernement britannique. Pour des raisons de politique intérieure (gagner les élections législatives en 2015 en promettant un référendum), il a fait un pari dangereux qu’il a perdu.

2. Le résultat du vote a surpris; dans les dernières semaines on avait pu escompter un soutien favorable au « remain » de la part du peuple britannique motivé par la prudence et  convaincu  par les dérogations nouvelles consenties  par les continentaux.

Le bilan immédiat outre-Manche semble désastreux: la chute immédiate de la livre; la découverte de l’immensité des problèmes pouvant résulter du « divorce », la situation des citoyens britanniques vivant ou résidant en Europe, la fuite possible des investisseurs – en dépit de la relance automatique des exportations et de la transformation du  royaume en paradis fiscal défiant les « 27 », enfin l’implosion possible du Royaume-Uni avec la sécession de l’Ecosse  unie à l’Angleterre depuis mars 1707, sous la reine Anne, la dernière des Stuarts, enfin la réouverture du conflit – naguère encore sanglant en Irlande.

Sans doute, les anglais s’illusionnent-ils sur le cousinage américain (« le grand large » invoqué par Winston Churchill en 1948) et n’ont-ils pas mesuré avec réalisme qu’ils risqueraient dès lors de rester seuls et amoindris.

La Reine- devant un tel enjeu difficilement prévisible il est vrai – n’aurait-elle pas dû, renonçant exceptionnellement à sa neutralité habituelle, éclairer la nation sur la gravité du choix?

3.L’Europe des « 27 » se trouve dans l’immédiat désemparée.

Doit-elle presser le Royaume-Uni de déclencher rapidement la procédure de sortie dite de  » l’article 50″?

Du temps des couples De Gaulle – Adenauer, Giscard d’Estaing- Schmitt, Mitterrand-Köhl, la situation nouvelle aurait pu représenter une hypothèse positive pour la reprise d’une relance franco-allemande.

On n’en est plus là.

La chancelière présentée internationalement comme une icône (la couverture de « Time magazine ») porte une très grande responsabilité dans le désastre actuel.

En imposant à tous ses partenaires un euro fort, dans le seul intérêt national de l’Allemagne, elle a accru les conséquences de la crise financière apparue en 2008 notamment pour la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et … la France.

Seule, l’arrivé de Mario Draghi à la présidence de la Banque centrale européenne a sauvé ce qui pouvait l’être encore.

En prétendant ouvrir pendant l’été 2015 les portes de l’Europe à l’immigration du monde entier**, elle a véritablement provoqué les sentiments populistes et xénophobes en pleine expansion.

En concluant seule avec le nouveau sultan ottoman un accord honteux relatif à la gestion des migrants, accord qui heurte les conventions européennes protégeant les droits de l’homme, elle a enfin jeté l’opprobre sur tout ce qui fait l’honneur de la civilisation occidentale.

Quant à la France- embourbée dans son déficit budgétaire et le poids de sa dette, soumise en outre à des échéances électorales à répétition qui la fragilisent- elle n’a plus voix au chapitre.

Au-delà, le paysage est sombre en Hongrie, en Autriche et même aux Pays-Bas, pourtant fondateurs de l’Europe des Six, alors que les tentations de dissidence risquent de se généraliser.

4. Reste-t-il quelque espérance?

Le terme de Septembre- désormais celui de la fin de l’année- imposé par les britanniques peut finalement se révéler opportun et offrir la possibilité d’un « plan Z »?

Faisons un rêve!

La nouvelle Premier ministre est restée discrète lors de la campagne référendaire; elle pourrait dès lors, après dissolution de la Chambre des communes et en s’appuyant tout à la fois sur la majorité europhile des conservateurs et les débris du parti travailliste, terrifié à l’idée de perdre sa principale base électorale en Ecosse, consulter de nouveau le pays puisque le processus de sécession n’a pas été encore juridiquement engagé.

S’il est impensable de considérer le résultat du 23 juin comme nul et non avenu, il n’en reste pas moins que le référendum était réputé consultatif dans le maquis du droit public britannique.

Ainsi, légitimée par la consultation législative, la chambre nouvelle pourrait-elle décider souverainement du sort du royaume non encore désuni.

Les « 27 » auraient donc tort de se précipiter en bousculant actuellement les anglais et feraient mieux de prononcer en urgence un veto solennel au TTIP, ce prétendu traité de commerce avec les Etats-Unis négocié secrètement par la commission européenne dont l’aboutissement mettrait un terme- plus sûrement que l’actuelle sécession britannique- à toute identité future de l’Union européenne.

Ce serait conforme à la tradition du »parlementarisme absolu », dont un célèbre professeur de droit constitutionnel à Sciences-Po proclamait jadis avec solennité que « le parlement britannique pouvait tout faire sauf changer un homme en femme ».

 

* Les autres peuples non plus: on répond rarement à la question posée.

**Peut-être pour obtenir le prix Nobel?

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